CHANSON DE ROLAND

 

HISTOIRE :

    Après une campagne de sept ans (en 778), l'armée de Charlemagne a vaincu toute l'Espagne, excepté Saragosse, gouvernée par le roi sarrasin Marsile. Marsile feint de se soumettre, mais il s'entend en secret avec Ganelon - le messager de paix que lui a envoyé Charlemagne - pour faire périr Roland, le plus vaillant des guerriers francs. Tandis que le corps de l'armée se dirige vers la France, Roland et les douze preux, qui forment le cœur de l'arrière-garde, sont pris en embuscade au fond du col de Roncevaux. Après avoir longtemps résisté contre des forces cinq fois supérieures en nombre, Roland se résout à appeler Charlemagne à la rescousse en soufflant dans son cor (olifant). Une veine de son cou se rompt, ce qui provoquera sa mort. Roland essaye de briser son épée Durandal contre un bloc de marbre sans succès : la lame reluit et flamboie sans s'ébrécher. Il s'allonge face à l'Espagne pour mourir et c'est alors que Saint-Michel, Saint-Gabriel et Chérubin l'emportent vers le paradis. Ses compagnons, Olivier et Turpin, sont tués. L'arrivée de Charlemagne met en fuite les derniers Sarrasins, mais les Francs doivent bientôt affronter l'armée du roi Baligant, venu au secours de Marsile. Aidés par Dieu, les chrétiens finissent par triompher des païens et tiennent Saragosse à leur merci. La dernière phase de la chanson se situe à Aix-la-Chapelle. Aude, la fiancée de Roland, y meurt de douleur. Quant à Ganelon, il y est finalement reconnu coupable de trahison à l'issue d'un duel judiciaire, et périt écartelé.

 

L'ÉCHO DE L'ALTÉRITÉ MÉDIÉVALE :

    La Chanson de Roland est la plus ancienne des chansons de geste écrite en français qui nous soit parvenue. Elle est aussi la plus célèbre.

    Loin de refléter passivement une réalité historique, la Chanson de Roland anticipe prophétiquement sur une réalité à venir : celle de l'Etat-nation monarchique. Elle dessine les plus importants paramètres du changement historique, avant même que les chartres les enregistrent : ce n'est qu'en 1181 que celles-ci donnent au roi de France, non plus le titre de Rex Francorum , attaché à l'ancienne réalité de l'empire carolingien, mais celui de Rex Franciae , qui dénote la réalité nouvelle de la monarchie. Haidu montre que le texte est le lieu même de cette active métamorphose.

    Loin d'être un texte de glorification monosémique, comme la critique l'a longtemps cru, l'épopée, sous couvert officiel de l'intronisation du monarque, constitue une critique radicale des mécanismes du pouvoir, de l'utilisation idéologique de la religion, du politique dans son ensemble. Elle montre subversivement que les significations politiques, bien loin d'être univoqes, sont toujours d'une ambiguïté qui ne peut être tranchée que par la violence d'une décision à la fois arbitraire et nécessaire.

    La Chanson de Roland sait, avant les politologues et critiques du XXème siècle, que la monarchie de droit divin dont elle accouche prophétiquement obéit à une structure de simulacre, que le pouvoir même du monarque tire son origine, non d'une onction divine, mais de la manipulation idolâtre de simulacres qui ont tout le poids de la vérité, du pouvoir et de l'histoire.